1- Le temps de l’anticipation
L’entrepreneur est propriétaire de son activité, qu’elle soit sous forme d’entreprise individuelle ou de société. Dans ce dernier cas, la propriété se matérialise par des titres : les actions ou les parts sociales.
Il peut à la fois, s’il est dirigeant, gérer, c’est-à-dire exploiter et développer son entreprise ; dans tous les cas l’administrer, c’est-à-dire choisir de prélever une rémunération ou un dividende, ou au contraire d’investir davantage dans l’activité ; et également de disposer de l‘entreprise en vendant le fonds de commerce ou ses titres selon le cas.
C’est à ce moment-là que l’entrepreneur peut rédiger son testament, prévoyant notamment la nomination d’un exécuteur testamentaire, mais aussi donner un mandat à effet posthume, qui devra être accepté dans le même temps par le mandataire.
2- Le temps de l’urgence
En cas de décès soudain, il existe une urgence à transférer le pouvoir d’engager l’activité : celui qui avait cette autorité n’est plus, alors que la vie des affaires continue. Les fournisseurs continuent de livrer et de facturer, les clients attendent leurs commandes, URSAAF et impôts leurs déclarations et leurs paiements en temps et en heure.
Pourtant, il existe un flottement pour deux raisons : tout d’abord, tant que la succession n’est pas acceptée, la maîtrise des biens, professionnels ou autres, n’est pas tranchée. Ensuite, parce que s’il y a plusieurs acceptants, ils forment une hoirie : un groupe de personnes qui est propriétaire du patrimoine de la succession sous le régime de l’indivision. C’est pourquoi il est important de remarquer à ce stade que, jusqu’au partage, c’est de l’ensemble des biens du défunt dont sont indivisaires chacun de ses héritiers. Dans le cas d’une participation au capital d’une entreprise, cette participation ne peut donc parler que d’une seule voix.
Alors comment gérer à plusieurs des biens uniques ? Le régime légal de l’indivision nous renseigne mais, nous allons le voir, est largement soumis à l’interprétation des acteurs, et en cas de désaccord menant au contentieux, du juge.
Le cas le plus simple est celui de la bonne entente, préférentiellement matérialisée par un pacte écrit qui attribue les pouvoirs de chacun des indivisaires, et éventuellement de tiers qui les représentent. Un tel pacte est valable dès lors que ⅔ des droits de l’indivision y participent.
En l’absence d’un tel pacte, l’article 815-2 du Code civil prévoit que chacun des indivisaires peut, seul, prendre les « mesures nécessaires à la conservation des biens indivis, même si elles ne présentent pas un caractère d'urgence ». Si la précision sera utile par la suite, on voit qu’il s’agit de donner la faculté à une seule personne de prendre l’initiative des actions les plus nécessaires. Les tiers sont également protégés par les dispositions de l’article 815-2, car l’indivisaire qui emploie des fonds de la succession « est réputé en avoir la libre disposition à l'égard des tiers », peu importe le montant de sa part.
Dans la pratique, si cela permet facilement de prendre réception d’une commande faite par le défunt ou d’envoyer les commandes reçues par ce dernier, les actions de paiement seront cependant beaucoup plus difficiles, les comptes bancaires étant bloqués par principe et les banques particulièrement frileuses à l’idée d’accepter des ordres non seulement en urgence, mais surtout de la part d’un seul indivisaire. Et opposera dans tous les cas un refus en l’absence d’une attestation de notoriété prouvant cette qualité.
Mais l’article 815-2 se révèle bien utile pour justifier l’intérêt à convoquer une assemblée générale de la société pour en désigner un nouveau dirigeant ou à effectuer une modification de l’entreprise individuelle du défunt : si elle n’offre la sécurité juridique qu’apporte une mission d’exécuteur testamentaire et/ou de mandataire posthume, la qualité d’indivisaire permet de parer au plus pressé, à savoir retrouver le contrôle. À charge de l’hoirie de faire les comptes après.
3- Le temps du partage
Dans un second temps, il s’agit de gérer l’entreprise en vue du partage, qui mettra fin au régime de l’indivision : chacun partira alors avec soit ses parts ou actions, ou sera compensé sur un autre bien de la succession par une soulte versée par l’héritier repreneur.
Pour toutes les décisions relevant de l’administration, et donc à distinguer de la seule conservation du bien visé par l’article 815-2, c’est l’article 815-3 du Code civil qui s’applique.
Et il dispose un principe : pour engager l’indivision dans un acte d’administration ou de vente, il faut que 2/3 des droits de l’indivision soient réunis.
C’est ainsi que :
- si la nomination d’un dirigeant en cas de vacance de la fonction suite au décès de l’entrepreneur peut relever de l’article 815-2, son renouvellement ou sa révocation ne peut relever que de l’article 815-3 et requiert donc sa majorité qualifiée ;
- si l’article 815 bien connu dispose que « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué », un accord est nécessaire quant aux termes (prix, répartition…), sans quoi il n’y a que la vente aux enchères au bout d’une longue procédure qui viendra mettre un terme à ce blocage.
L’une des solutions octroyées par le législateur, concernant une entreprise, est le mécanisme de l’attribution préférentielle, qui permet au conjoint survivant ou à un héritier indivisaire de revendiquer la priorité sur l’attribution de l’entreprise ou des titres de capitaux de la société pour laquelle il a contribué à l’exploitation du vivant de l’entrepreneur décédé. Néanmoins, il faut que celui-ci puisse compenser la valeur de l’entreprise sur laquelle il fait valoir sa priorité.
Il est à noter que le régime de l’indivision donne aux indivisaires un droit de préemption en cas de vente des droits par l’un d’entre-eux : si, pour débloquer une situation, l’un des héritiers décide de sortir en vendant ses droits avant le partage, les autres pourront s’aligner sur l’offre faite par un tiers. Ce droit est dissuasif : le délai de règlement d’une indivision étant déjà très aléatoire, une telle procédure rend en pratique ce moyen de sortir de l’indivision successorale quasi-inopérant (article 815-14).
Il est à noter que l’indivision existe également en démembrement : chaque est alors une indivision entre les possesseurs du droit démembré.
Dans le cas le plus courant, celui de l’usufruit au conjoint survivant et de la nue-propriété partagée entre héritiers, l’usufruit n’est pas indivis, alors que la nue-propriété l’est. Ainsi, tout ce qui relève de la décision ordinaire de gestion comme la distribution des dividendes ou la nomination du dirigeant est un pouvoir de l’usufruitier ; tandis que tous les actes de disposition tels que la vente sont uniquement entre les mains des nus-propriétaires, selon le régime légal de l’indivision décrit plus haut.
Dans un tel cas, si l’usufruitier souhaite vendre son droit, les nus-propriétaires se retrouvent à leur tour, après d’autres usufruitiers éventuels cependant, pourvus du droit de préemption à l’égard des tiers (article 817-18).
En conclusion, on observe que l’indivision successorale légale est un régime certes codifié, mais présentant en pratique de fortes incertitudes quant à la gestion et à la disposition de biens professionnels, incertitudes fort dommageables dans la conduite des affaires.
Pour protéger la valeur de l’entreprise et les différents héritiers, il est donc recommandé d’organiser plus étroitement les pouvoirs de chacun. C’est tout l’objectif des pouvoirs remis à l’exécuteur testamentaire et au mandataire posthume, et des mécanismes de l’attribution préférentielle et du pacte successoral, que nous évoquerons spécifiquement.