Bonjour Thierry Regond, pouvez-vous vous présenter ?
J’ai été avocat d’affaires pendant 17 ans au sein du cabinet Fidal et je faisais du droit des sociétés, de la fusion acquisition essentiellement.
Puis j’ai eu l’opportunité de rentrer au capital d’une société et progressivement on m’a proposé d’en devenir le Directeur général. C’était en 2005.
Je suis donc maintenant dans le domaine de la maintenance aéronautique. Nous avons développé des produits, des technologies qui permettent de limiter le temps d’immobilisation des avions liées à des problématiques de pertes d’étanchéité (essentiellement carburant et air respirable). Ce sont des techniques qui permettent de limiter l’utilisation de carburant dans le contrôle, ce qui permet d’économiser des volumes considérables.
Quand je suis entré nous devions être 12, nous sommes désormais une centaine avec un site principale au nord de Lyon à Bugey, un site aux Etats-Unis à Nashville et un site en Malaysie à Johor Bahru.
Nous avons une grosse part de R&D, autour de 15%.
Pourquoi votre engagement au Tribunal de commerce et comment êtes-vous arrivés à la Vice-présidence ?
Je suis entré au Tribunal en 2011. L’idée est de restituer un peu à la collectivité ce qu’elle m’avait donné dans mon éducation et dans ce que j’ai pu faire. Je me suis beaucoup investi en contentieux général au départ (les contentieux entre sociétés) et depuis quelques années en procédures collectives (les difficultés des entreprises).
J’ai pris la Vice-présidence il y a 3 ans maintenant. C’est passionnant, j’y passe près de 50% de mon temps, donc Sunaero le matin et le tribunal l’après midi… C’est une activité bénévole donc il faut bien s’organiser.
Ce qui m’intéresse, surtout en ce moment, c’est de voir l’impact des aides que nous pouvons apporter aux entreprises et surtout les orientations qu’on peut donner sur les procédures de façon à éviter les catastrophes, au niveau social, c’est énorme !
On incite les gens à venir très très tôt. On a des procédures confidentielles qui peuvent permettre de régler beaucoup de choses, par le biais de la négociation aussi, donc c’est très intéressant.
Faut-il avoir une formation de base pour s’engager dans cette mission ?
Pas du tout. On a une formation dès le départ, on met tout le monde à niveau. On n’a pas besoin d’être juriste. Les deux premières années sont des années probatoires avec 200h de formation et une formation continue obligatoire, délivrée par l’ENM et les anciens chez nous. Nous avons des mandats de 4 ans et le dernier mandat est un mandat de transmission.
Pouvez-vous nous décrire ce qui se passe quand un(e) chef(fe) d’entreprise est temporairement indisponible ou décédé(e) ?
D’abord il faut rappeler que c’est une situation qui reste assez rare heureusement. Cela représente 4 à 5 cas par an. (Il y en a eu un peu plus avec l’épidémie de Covid).
D’abord, une requête est faite par l’avocat en désignation d’un mandataire adhoc.
Quand le dirigeant est en incapacité, temporaire ou définitive, la société est en situation de blocage, aucune décision ne peut être prise.
Le Tribunal de Commerce émet une ordonnance pour que le mandataire puisse débloquer la situation :
1/ auprès de la banque et débloquer les comptes, ce qui peut être vital ;
2/ auprès des fournisseurs ;
3/ plus globalement, auprès de la société pour agir au nom et pour le compte du dirigeant.
On lui donne un objectif : par exemple pour une SAS, le but est de réunir une Assemblée générale afin de nommer un nouveau mandataire social.
C’est un premier niveau pour éviter que la société ne se trouve en déshérence avec les salaires ou les fournisseurs impayés. Auquel cas, on partirait rapidement dans une situation qui nous mènerait à la liquidation judiciaire.
En sachant qu’en cas de décès, plus d’une fois sur deux, on arrive à une liquidation.
Soit la société est importante, très structurée et dans ce cas, il y a moins de problème : on nomme un nouveau mandataire social et ça repart.
Soit la société est une PME, même une grosse PME, qui dépend beaucoup du dirigeant, et à ce moment là, on arrive à une catastrophe. La société ne peut plus fonctionner car il y a un intuitu personae très fort et on est obligé d’arriver à une cession, qui se fait à la barre du Tribunal.
Dans ce cas on ouvre un redressement judiciaire. L’intérêt est que la société est prise en charge intégralement, avec le paiement des salaires. Ce cas peut se faire si la société n’est pas en état de cessation de paiement. Ce qui malheureusement peut arriver relativement vite s’il n’y a plus personne pour faire rentrer de l’argent…
Si la société n’est pas en cessation de paiement, on peut ouvrir un mandat ad-hoc, une conciliation, voire une sauvegarde, de façon de permettre à la société de continuer et surtout de trouver un éventuel acquéreur.
On règle donc ces situations du point de vue du droit des sociétés mais on ne règle pas tous les problèmes ! Comme on a une activité de plus en plus numérisée, on ne règle pas la problématique des codes d’accès.
Il est donc clair que si le dirigeant n’a pas laissé ces informations de façon sécurisée quelque part pour les transmettre, on peut à nouveau se retrouver dans une situation de blocage. Avec un mandataire on peut réussir à accéder au site web de la banque, grâce à l’ordonnance qui est délivrée. C’est plus compliqué pour la mise à jour d’un site web, un site marchand également. Ca peut être très long et extrêmement dommageable… d’où l’intérêt de votre solution !
Vous voyez passer des entreprises de toutes tailles, de tout secteur ?
Oui on voit passer des entreprises de toutes tailles, à condition qu’elles soient immatriculées au RCS de Lyon.
Le dernier exemple que j’ai en tête de liquidation, c’est une société dont le dirigeant s’est suicidé et là c’était une vraie catastrophe. Nous nous sommes retrouvés dans une situation compliquée avec des dizaines de salariés. Nous avons désigné un mandataire au départ pour faire un point sur la situation de la société et nous nous sommes rendus compte que nous n’avions pas le choix que de liquider.
La problématique peut être un peu plus lancinante dans un certain nombre de sociétés qui sont organisées mais dont les codes d’accès sont détenus par la personne qui a eu l’accident. C’est un vrai problème.
On peut avoir un certain nombre de sociétés sensibles qui travaillent avec le Ministère de la Défense, avec des accès extrêmement réglementés et avec des codes qui sont détenus personnellement et qui ne peuvent pas être partagés, notamment avec des tokens.
Je prends l’exemple de ma société : nous sommes en train de mettre en place un système de sécurisation d’accès aux données pour travailler avec nos donneurs d’ordre. Rien que pour accéder à cet outil, il faut un code personnel qui est renvoyé sur le téléphone. Si je disparais, c’est un vrai problème. Nous avons des procédures internes mais il faut les connaître et elles ne sont pas simples. Même si vous les mettez sur un disque dans un coffre, il faut le code du coffre !
On peut également utiliser le tiers de confiance : un expert-comptable ou un notaire, voire un avocat, à condition que ce soit une structure organisée.
En réalité, on est bien face à un problème de résilience de l’entreprise.
En ce moment, la situation économique est tendue, avec peu de visibilité. Un problème de ce genre peut définitivement plomber la société.
Est-il mieux de penser à l’avance qui va être le mandataire ?
Si ce n’est pas prévu, ce n’est pas très grave car nous désignons un professionnel : un administrateur ou un mandataire judiciaire en fonction de l’ampleur de la mission.
Si on a organisé à l’avance, c’est quand même mieux de désigner une ou plusieurs personnes (X ou à défaut Y…) et quelqu’un au courant des affaires de la société bien sur.
En revanche, il faut bien choisir : cette situation d’interim peut poser problème dans l’entreprise si la personne ne fait pas l’unanimité. Donc si la situation de gouvernance peut se révéler complexe (c’est le cas des sociétés de famille par exemple), il vaut mieux désigner un tiers. Si tout le monde tape sur le tiers, ce sera sans conséquence.
Quels sont vos conseils aux dirigeants ? Que doivent-ils préparer ?
Encore une fois, nous avons des solutions juridiques pour éviter le blocage mais nous avons des problématiques purement matérielles et pratiques : par exemple comment on accède aux serveurs ?
Il faut se poser la question des chaines de délégation au niveau de la société et de l’autonomie des collaborateurs pour savoir ce qu’ils pourront faire ou non en cas de coup dur.
Par ailleurs, on parle de la sphère professionnelle mais ce qui est le plus maltraité, c’est la sphère personnelle pour un chef d’entreprise. Pour la famille, ils peuvent se retrouver dans des situations compliquées et il faut y penser.
Souvent c’est un des professionnels qui accompagnent le chef d’entreprise qui le pousse dans ses retranchements pour qu’il se pose ces questions. Tout dépend des relations et de la taille de l’entreprise mais souvent l’avocat est bien placé pour cela. Les notaires peuvent également aborder ces questions du côté vie personnelle.
L’intérêt de votre solution est cette transmission sécurisée et elle permet également d’aborder le sujet, de se pencher sur la question.